Moi, je crois qu’elle
est déjà habituée. Elle est née de ce corps, elle a grandi en lui. C’est sa
maison. Elle ne connait que lui. De ce monde, elle ne connait que ma voix, le
son des battements de mon cœur, le rythme de ma respiration, l’odeur de ma
chair. Elle sait tout de moi. Elle ne sait que moi. Elle pense même que je suis
elle, que nous ne sommes qu’une, que je suis la continuité de son corps.
Ce qu’il faudrait en fait, c’est que je la déshabitue.
Que je la force à oublier, très vite, tout ce qu’elle connait, tout ce
qu’elle aime. Lui désapprendre le parfum de ma peau et lui refuser les caresses
de mes mains. Pourtant, naturellement, instinctivement, elle me cherche, me veut. Plus qu'un besoin, une nécessité. Pas pour vivre, pour survivre.
Et pourquoi ?
Pour qu’elle soit autonome et sage. Pour que je puisse vivre. Pour que
je puisse être libre. Mais je suis libre ! C’est elle ma Liberté. S’il
faut parler d’esclave, alors c’est moi son bourreau. C’est moi qui ai le
pouvoir de la calmer, de l’apaiser, de la soulager. Elle, elle m’a réveillé.
Elle m’a rendu consciente. Envolé mes convictions, mes croyances et mes certitudes.
Je suis vivante depuis le 16 août 2013. C’est ma plus belle raison de vivre, c’est
ma plus belle priorité, c’est ma plus belle finalité. Et je devrais dire
« non » à ses petits bras
tendus vers moi, désespérément dressés, à la recherche de cette chaleur qui l’a
bercé et rassuré si longtemps ?
Pourquoi
m’interdit-on d’aimer ma fille ? Si je la prends dans mes bras, c’est
parce que je l’aime ; si je ne la laisse pas pleurer, c’est parce que je
l’aime ; si je la respire, la regarde, l’embrasse, la touche, la mange,
c’est parce que je l’aime !
C’est quoi ce monde qui nous pousse à aimer nos enfants de loin ?
Pourquoi croire
que rassurer son enfant c’est le rendre capricieux ? Pourquoi croire que
nous devons être durs pour être juste ? Être sévère et cruel pour éduquer ?
Ignorer pour mieux dresser, pour forger le caractère et rendre obéissant. Pourquoi
ne pas juste aimer, simplement ?
Cette enfant à
qui j’ai donné naissance, elle vient de mon âme, elle vient de mes tripes. Elle
a vécu à côté de mon cœur. Je l’ai porté au monde, égoïstement. Parce que
j’avais envie d’un bébé. J’avais envie de devenir une maman. Nous avions envie
de devenir parents. Mais nous ne pouvons plus être égoïstes ! Je lui dois
tout !
Elle ne me doit rien. Elle ne me demande rien. Juste mes mains.
Quand sa bouche
se tord, que ses yeux s’ouvrent et se dilatent, que ses larmes salent son
visage en entier et qu’elle me cherche, qu’elle me cherche de l’intérieur,
qu’elle souffre à en oublier qu’elle n’est plus EN moi, je ne peux pas rester sur
le pas de la porte ! Je ne peux pas me convaincre que c'est pour son bien. Pour son autonomie. Je veux, je dois la toucher, la serrer, prendre sa peine, prendre sa colère, sa peur. Il faut que
je la protège, il faut que je l’aime, que je la berce sans retenu, sans limite
pour retrouver son sourire.
Et je la bercerai. Aussi longtemps que je lui suffirait. Et je la serrerai, aussi longtemps qu'elle le voudra.
Et si je préfère
lui enseigner l’amour, la tendresse et la bonté plutôt que la frustration, la
colère et la violence, ça veut dire que je suis laxiste? Et si je crois, moi, qu’un enfant mérite qu’on lui laisse le temps
de découvrir tout ça par lui-même? Si finalement notre rôle n’était que
d’accompagner, d’écouter, de conseiller, de guider ? Le soutenir, l’épauler,
lui parler, le regarder nous fixer avec ses yeux pleins de larmes ou de colère
ou d’incompréhension et l’aider à grandir. Doucement, calmement, sans écouter
ces menaces d’enfant roi capricieux.
L’aimer comme on aimerait être aimé. Être les parents qu’on aurait aimé avoir. En faire l’adulte qu’on aurait aimé être.
Je ne comprends
pas ces parents qui laissent pleurer un enfant pour le dompter. Pour mettre fin à un
« caprice ». Pour lui apprendre à bien se comporter. On a tous des
envies, brutales ou réfléchies. Sauf que nous, adultes, nous
arrivons (plus ou moins) à gérer nos émotions. Et si on consolait au
lieu de gronder ? Et si on le prendrait ces bras cet enfant, pour le rassurer, au lieu de le
punir et de le laisser dans ses larmes. Lui dire qu’on le comprend, qu’on
sait à quel point c’est décevant et frustrant de ne pas avoir ce que l’on veut !
Juste
l’aider à contrôler sa colère et à apprivoiser ses émotions. Le traiter comme
l’être humain qu’il est.
Pourquoi vouloir
respecter son enfant semble si dingue ? Je veux l’aimer pour ce
qu’elle est, je veux la pousser à devenir une petite fille épanouie et
heureuse. Je veux voir cette petite fille devenir une femme sûre d’elle et
aimante.
Aimer pour être aimer.
Souvent, je me
demande ce à quoi l’on pense à la fin de sa vie.
Je sais à quoi moi je penserai. A la vie que j’ai créée. A ce minuscule poing fermé au bout de ce si petit bras. A l'odeur de ses cheveux, à la douceur de son cou, aux plis de ces cuisses. A ce corps brulant qui vient d’un autre univers et que j’ai serré contre mon cœur, cette toute première fois. A toutes les autres fois. A ces yeux qui me cherchent dès que je quitte une pièce. A cette bouche qui est bien plus belle quand elle sourit que quand elle crie. A Elle. C’est à elle que je penserais. C’est à elle que je pense tous les jours.
Je sais à quoi moi je penserai. A la vie que j’ai créée. A ce minuscule poing fermé au bout de ce si petit bras. A l'odeur de ses cheveux, à la douceur de son cou, aux plis de ces cuisses. A ce corps brulant qui vient d’un autre univers et que j’ai serré contre mon cœur, cette toute première fois. A toutes les autres fois. A ces yeux qui me cherchent dès que je quitte une pièce. A cette bouche qui est bien plus belle quand elle sourit que quand elle crie. A Elle. C’est à elle que je penserais. C’est à elle que je pense tous les jours.
Et s’il n’était question que d’amour ?